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le grand compte / tout compte #9

Un Français au Japon

Richard Collasse, écrivain et président de Chanel Japon, répond aux questions d’Henri Kieffer, fondateur d’harpagon.

HK : Bonjour Richard, qui êtes-vous en quelques secondes ?

Un Français qui n’a jamais vécu en France, qui est parti au Japon à l’âge de 18 ans, qui a quitté le Japon pour venir en Suisse, et qui a travaillé pour la même Maison pendant 
40 ans.

 

Qu’est-ce que vous a apporté le Japon sur le plan professionnel et personnel ?

Ça a été toute ma vie professionnelle. Il y a une époque où tout au Japon était possible donc j’ai pu y faire des choses assez incroyables que je n’aurais sans doute jamais pu faire dans aucun autre pays du monde.

Sur le plan personnel, ma famille. J’ai cinq enfants qui sont tous 100 % japonais et 100 % français comme ils aiment bien le dire eux-mêmes. J’ai dit un jour à un Premier ministre Japonais : « J’ai cinq enfants (garçon, fille, garçon, fille, garçon) preuve qu’avec une bonne technologie française et une merveilleuse usine japonaise on arrive à faire des choses extraordinaires [Rires] ! ».

 

Vous avez un parcours d’écrivain accompli, mené en parallèle d’une grande carrière de dirigeants : quels conseils pour ceux qui souhaitent ou doivent mener plusieurs carrières en parallèle ?

Je vais peut-être vous surprendre mais le conseil que je donnerais c’est d’être très pris par votre occupation professionnelle pour pouvoir faire autre chose. Paradoxalement c’est parce que je n’avais pas le temps d’écrire que j’ai écrit. Il faut savoir se déconnecter complètement si vous souhaitez faire quelque chose qui demande un peu plus de concentration. J’ai cette capacité de lâcher mes problèmes professionnels quand je passe la porte du bureau. Il m’arrivait de déconnecter depuis le bureau, quand j’avais des réunions qui m’ennuyaient trop, je partais dans mes personnages, mais une telle déconnexion n’est tout de même pas recommandée [Rires] !

 

Quelles leçons de vie aimeriez-vous transmettre à vos petits-enfants ?

Un jour, mon père, à l’époque détaché par Air France auprès de Royal Air Maroc, est allé saluer un Marocain qui balayait son hangar à l’aéroport de Casablanca et m’a dit : « Tu vois, ce Monsieur, je le respecte plus que le PDG de Royal Air Maroc qui fait beaucoup de bêtises car son hangar est toujours impeccablement nettoyé ». Cela m’a appris à avoir plus de respect et d’attention pour les gens humbles qui travaillent autour de vous que pour les grands de ce monde. Le respect de l’être humain et l’irrespect de la position sont des choses que je veux passer à mes petits-enfants.

Lorsqu’un de mes amis polytechniciens intégra l’X, le général gérant la promotion leur dit : « Mesdemoiselles, Messieurs, veuillez-bien vous regarder les uns les autres car figurez-vous qu’ici, il y a le même taux de cons que dans la vie normale ». Je trouve cela formidable et c’est une belle leçon de vie à donner à ses enfants et à ses petits-enfants.

 

Quelle est la dernière grande décision que vous n’avez pas regrettée ?

C’est d’accepter de venir ici en Suisse alors que nous avons vécu au Japon et que j’avais l’intention de m’y retirer. Chanel m’a fait part de son souhait de me garder encore cinq ans mais en Suisse. Nous avons tout de suite accepté, et sommes tombés amoureux de ce pays et des gens. Nous sommes entourés de nombreux amis suisses. C’est ce qui a fait que nous sommes restés ici. C’est une belle décision. La Suisse est le Japon de l’Europe.

 

Parlons de Chanel : que retenez-vous, notamment au Japon, de votre expérience de dirigeant d’entreprise ?

D’abord je séparerais deux choses. Pour l’expérience de l’homme, j’ai eu beaucoup de chance d’entrer dans ce métier car il me convenait parfaitement, ce que je ne savais pas du tout quand j’étais étudiant, à une époque où la seule chose que je voulais faire était écrire.

Pour l’expérience de dirigeant d’entreprise, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir une équipe extrêmement fidèle : peu de gens m’ont quitté, c’est peut-être la plus grande récompense que je puisse recevoir. Les gens qui ont travaillé pour moi sont restés longtemps avec moi, par exemple ma secrétaire durant 23 ans, tout le temps de ma Présidence. Quelques-uns m’ont quitté, mais pour aller faire des choses totalement différentes, ce n’était pas pour aller chez la concurrence où parce qu’ils en avaient assez de travailler avec moi.

 

Que peut-on dire en quelques mots de Chanel K.K ?

Chanel s’est installé au Japon en 1980 et a été une des toutes premières sociétés françaises de luxe à s’y implanter en direct, avec Louis Vuitton. Ça a été une merveilleuse histoire : nous nous sommes beaucoup occupés de la cliente locale car le Japon n’avait à cette époque pas ou très peu de touristes.

J’ai participé à son formidable développement dans les années 1980-1990, en étant patron de la division parfum- beauté ce qui a été exaltant. Cela paraît paradoxal qu’un homme s’intéresse au parfum et à la beauté mais c’est un métier très intéressant, toujours en mouvement, il faut toujours recruter de nouvelles clientes, puis il faut savoir les fidéliser.

Un jour on m’a nommé président de Chanel Japon, j’ai eu la chance de faire des choses très importantes pour Chanel telles que construire notre premier immeuble phare sur Ginza, la plus grande avenue de Tokyo. Ce fût une expérience extraordinaire car j’ai toujours rêvé de vivre une expérience d’architecte.

 

J’ai consolidé la présence de la marque et son rayonnement, qui n’est pas seulement celui des produits mais aussi le rayonnement d’une personne, Gabrielle Chanel, qui est un modèle encore aujourd’hui pour de nombreuses femmes, par son indépendance, sa façon de vivre notamment.

Elle était également un Pygmalion des arts et nous avons mis en place des projets culturels à l’intérieur de Chanel qui permettaient à la cliente de venir à la fois pour acheter ses produits mais aussi pour s’enrichir de ce que nous avions à lui montrer.

J’ai monté un restaurant, j’ai été un des premiers dans l’industrie sinon le premier à le faire au sommet de la tour Chanel avec Alain Ducasse. Cela fait plus de 20 ans et il travaille toujours avec nous aujourd’hui. C’est une de mes fiertés.

 

Quelle est la stratégie pour réussir sur ce marché difficile ?

Les trois mots que j’utiliserais sont PRP : Patience, Respect du client, Perfectionnisme.

 

Quels conseils donner aux entre-preneurs désireux de s’y développer ?

N’arrivez pas avec des produits approximatifs car vous ne serez jamais pardonnés. N’arrivez pas non plus avec un service approximatif : le premier service que vous devez aux Japonais quand vous livrez c’est de le faire en temps et en heure. Assurez-vous d’avoir une Supply Chain capable de supporter les commandes des Japonais. Cela peut paraître très long, très lent, très difficile, ça l’est au début, ça demande beaucoup de temps et de réflexion. Quand j’étais président de la chambre de commerce française du Japon, j’ai vu de nombreuses fois des entreprises qui n’avaient pas les moyens de répondre à la demande japonaise.

Au Japon, il faut être hyper professionnel et ce pays vous apprend à le devenir encore plus que vous ne l’étiez déjà.

 

Comment avez-vous réussi à transmettre le savoir-faire français au Japon ?

Les Japonais vénèrent les artisans, beaucoup plus que les artistes. Il y a au Japon ce qui ressemble à nos Meilleurs ouvriers de France, c’est ce qu’on appelle les Trésors Vivants. Les Japonais accueillent très facilement le savoir-faire français. Quand vous disposez d’un superbe savoir-faire, ils comprennent que dans le produit qu’on leur vend, il y a l’âme de la personne qui l’a fabriqué. C’est cela que je m’attachais à leur faire comprendre.

 

Comment le luxe, et en particulier Chanel, se préparent aux défis de demain ?

Il y a plusieurs défis. Il y a celui de la Sustainability qui est extrêmement impor-tant. Je pense que les Maisons du luxe l’ont compris, certes à des niveaux divers, mais l’ont compris. Chez nous, c’est devenu un point central de notre stratégie.

La géopolitique influe beaucoup aujour-d’hui : demain, que faire si la Chine envahissait Taïwan d’une façon belliqueuse ? Nous avons été obligés de fermer la Russie : si nous avions continué à vendre en Russie, nous aurions été en contravention avec les règlements de l’Europe. Qu’arrivera-t-il si demain, la Chine, un énorme marché pour les Maisons du luxe, envahit Taïwan et que l’Europe décide de faire un embargo ? Un des grands défis pour nous tous est la diversification. Il y a certaines entreprises de luxe pour lesquelles la Chine représente plus de 50 % du business.

Il y a beaucoup d’autres défis : l’Inde, l’Amérique Latine, sans doute l’Afrique subsaharienne. La question est comment faire pour se développer dans ces régions compliquées parce qu’elles ont des civilisations toutes très fortes : les Indiennes ont une façon de se maquiller qui n’est pas du tout celle des Européennes. Ce sont des défis que vont rencontrer toutes les Maisons de luxe dans les années à venir.

Chanel s’est longtemps positionné à contre-courant de ses concurrents, notamment à propos du commerce en ligne et de la vente de produits en ligne, en les limitant aux produits liés à la beauté, quelle est maintenant la stratégie de Chanel dans ce domaine ?

La stratégie depuis toujours est la constance : on ne change pas d’un jour à l’autre parce que des effets de mode se présentent. Il y a une vision extrêmement précise de notre marque par nos propriétaires : Un luxe intransigeant avec les produits les plus parfaits. Il faut se rappeler que nos propriétaires sont à l’origine des industriels qui fabriquaient des cosmétiques et des parfums puisqu’ils possédaient la société Bourjois. Un produit industriel doit être calibré à la perfection et donc il y a une logique industrielle derrière cela.

En mode, nos produits sont très chers : une veste coûte entre 6 000 et 10 000 dollars. On ne met pas sur le dos d’une cliente une veste de 6 000 à 10 000 dollars sans avoir fait des retouches car il y en a toujours à faire sur le corps d’un être humain : deux femmes de taille 38 n’ont pas forcément les épaules dessinées la même façon par exemple. Il est impensable pour nous de vendre en ligne un produit qui doit être mis sur le dos de la cliente, un produit qu’elle a besoin de porter pour qu’on s’assure que c’est, non seulement un produit parfait, mais un produit qui tombe parfaitement sur le corps de la personne qui le portera.

La vision globale de la Maison c’est la marque, la marque et encore la marque. On se demande sans cesse si notre marque est toujours la plus désirable au monde, si tout ce qu’on fait l’est pour la garder désirable. Les ventes en ligne sont donc effectivement limitées de façon assez stricte aux parfums et produits de beauté. Les autres produits demandent un cérémonial : quand vous achetez une montre pour votre fiancée, l’achat en ligne est un peu triste même si c’est ce que la nouvelle génération a l’habitude de faire. On encourage les gens à venir dans nos merveilleuses boutiques car c’est là qu’ils auront un service pour rendre le moment inoubliable.

Je pense par exemple à ce couple dans la boutique de haute joaillerie de la place Vendôme venu acheter une montre que monsieur offrait à son épouse. C’était un moment assez magique de voir ce couple très chic : la vendeuse était en symbiose avec eux, l’ambiance dans la boutique était autour de ce couple qui rayonnait. Ils sont partis heureux avec leur montre et ils en garderont un souvenir ému.

Je dirais que c’est quasiment une philosophie japonaise, ce qu’on appelle au Japon le « ichigo ichie » c’est-à-dire « une fois, une rencontre » : c’est une rencontre qu’on doit chérir car elle ne se reproduira jamais, non pas parce qu’on ne reverra jamais la personne mais parce que la couleur du ciel sera différente, l’air sera différent, votre café n’aura pas le même goût que celui qu’on vous a servi aujourd’hui. C’est donc ce moment précis dont il faut se souvenir et qu’il faut chérir.

 

C’est la raison pour laquelle je pense pouvoir dire qu’on ne fera jamais de vente en ligne. Cela ne veut pas dire qu’on n’utilise pas les outils, au contraire, on a créé un dialogue digital entre la cliente et la vendeuse : la cliente a une vendeuse attitrée et c’est elle qui va s’en occuper le plus longtemps possible et qui va l’accompagner dans ses choix.

 

Quelle est cette relation particulière mise en place avec les outils du moment ?

C’est une relation de confiance qui est soutenue par les outils modernes ; autrefois, elle se créait entre la vendeuse et la cliente sans assistance. Un jour, une vendeuse m’a dit qu’elle connaissait par cœur toute la garde-robe de ses clientes, pas seulement la garde-robe Chanel, toute la garde-robe.

Aujourd’hui, nous avons beaucoup plus de clientes qu’autrefois, nous avons la chance d’avoir des bases de données qui permettent à nos vendeuses de savoir exactement ce qu’elles souhaitent et d’avoir un dialogue approfondi avec elles. C’est cela qui est très important et je pense qu’on a le meilleur service clientèle au monde.

Je ne vais pas acheter les produits d’une magnifique Maison que je respecte beaucoup parce que ses vendeuses sont particulièrement désagréables. C’est hélas une constante de cette marque, pas seulement en France mais aussi au Japon, aux États-Unis, sans doute parce qu’il y a une politique de l’entreprise qui veut que ce soit ainsi. Il y a d’autres grandes marques où ce sont des vendeuses de supermarché parce que ces magasins de luxe sont de la taille d’un supermarché.

 

Quelles sont les Maisons que vous respectez dans votre secteur ?

Respecter (ou ne pas respecter), qu’il serait de ma part prétentieux de le prononcer !

Chez Chanel, nous traçons notre chemin sans trop regarder ce que font les autres car cela ne nous intéresse pas. Une des constantes de Chanel a toujours été de s’occuper de sa marque et de ne pas essayer de copier la concurrence comme certaines Maisons le font sans pudeur aucune.

Nous avons la chance d’avoir des propriétaires privés et donc d’avoir une marque indépendante de nature et nos collaborateurs travaillent en pensant uniquement à ce qui est le meilleur pour elle. Il y a des marques que j’aime ou que je n’aime pas, professionnellement ce ne sont pas forcément les mêmes marques mais je ne vous le dirai jamais car, cela n’entre pas en ligne de compte dans notre démarche.

 

Quelle place l’IA et la blockchain ont dans l’expérience immersive de Chanel ?

Nous n’y sommes pas encore, très honnêtement. Nous étudions bien entendu ces sujets : la blockchain sert surtout je pense à protéger les données de la cliente. Nos services informatiques s’occupent de cela. En matière d’IA, je pense qu’on l’utilisera uniquement pour tout ce qui est l’intendance et le régalien et non pas pour les fonctionnalités intuitives. Il paraît que l’IA pourrait très bien écrire à ma place un roman. Chanel ne laissera jamais l’IA écrire son histoire ou ordonner ses relations avec ses clientes.

 

Métavers, web3, web immersif ?

Il n’y a pas très longtemps j’étais à la Silicon Valley : plus personne ne parle du métavers, ils parlent beaucoup de l’IA mais pas du tout du métavers. Je crains un peu que ce ne soit une lubie dont plus personne n’entendra parler, un peu comme « Second Life » qui a totalement disparu. Je crois qu’on s’est rendus compte que le métavers allait consommer beaucoup d’énergie créant des émissions de carbone monstrueuses, coûter beaucoup d’argent sans compter que les grosses lunettes qu’on doit porter sont fort encombrantes.

Il y a quand même des choses intéressantes à retenir : Apple vient de lancer ses propres lunettes et ils sont sans doute en train de réfléchir au coup suivant : Des lunettes à peine plus grosses que les vôtres et les miennes. C’est comme l’IA, il y a des domaines où cela sera intéressant, tels que l’éducation, la chirurgie. Le métavers aura certainement beaucoup d’applications dans le futur mais pour le moment je crois qu’il y a un coup d’arrêt. Toute la Silicon Valley a mis 200 000 ingénieurs à la porte, cela veut dire qu’ils attendent un coup de froid, puisqu’il y a des domaines dans lesquels ils ont décidé de ne plus mettre d’énergie pour le moment, et le métavers en est certainement un.

 

Venons à votre parcours d’écrivain, racontez-nous votre premier livre : votre déclic, sa naissance, vous avez évoqué le fait que jeune homme, votre projet était d’écrire, racontez-nous cette naissance.

C’est une histoire amusante : un grand éditeur japonais est venu un jour me voir – nous étions par ailleurs clients – pour me proposer d’écrire un essai avec un ghostwriter, à la manière de ce qu’avaient fait Troussier ou Ghosn. Cela ne m’intéressait pas. Le lendemain, un vieil ami qui avait lu le premier chapitre d’un livre que j’avais écrit en japonais me dit que j’ai une très belle plume et qu’il pouvait imaginer qu’un texte dans ma langue maternelle serait encore meilleur. Il m’encouragea à rappeler cette Maison d’édition pour leur dire que je souhaitais écrire non pas un essai mais un roman. Je le fait donc et lorsque je leur annonce mon projet d’écrire plutôt un roman, je les vois pâlir. Ils finissent par accepter, probablement parce qu’ils craignaient que je coupe nos budgets de publicité dans leurs magazines féminins [Rires]. C’était en novembre 2004 ; ils m’ont laissé 4 mois. Face à l’ampleur de la tâche, j’explique un soir à ma femme que j’allais les rappeler le lendemain pour leur dire que j’avais été trop présomptueux, car je n’avais même pas d’histoire en tête ! Le lendemain, je me réveille et je dis à ma femme : « Non seulement je sais ce que je vais écrire mais j’ai la phrase d’entrée et le mot de la fin ». à partir de là, j’ai écrit comme un dingue, tous les week-ends, la nuit et j’ai finalement remis le manuscrit avec un gros mois de retard. Ils ont traduit en japonais, on a relu, ils ont aimé et ils ont publié.

Comme j’avais le manuscrit en français, je l’ai envoyé au petit bonheur la chance au Seuil. 15 jours plus tard le président du Seuil m’appelle et m’annonce qu’il me publie car il a adoré mon roman, il m’a encouragé à écrire immédiatement le deuxième car « Vous êtes un écrivain ». La Trace a donc été publié en France et a connu un gros succès.

J’ai ensuite écrit le deuxième, le troisième, le quatrième, le cinquième. J’en ai écrit deux autres au Japon, j’ai sorti le Dictionnaire Amoureux et maintenant je vais me remettre à l’écriture avec des projets relativement courts, mais assez amusants. Un projet de roman que je tourne dans ma tête depuis 20 ans est l’histoire de mon père que j’aimerais raconter et que j’écrirai peut-être au début de l’année prochaine.

Dictionnaire amoureux du Japon, de Richard Collasse, est sortie en 2021 aux Editions Plon.

Dans chacun de vos romans, vous semblez dresser un fidèle portrait d’une ou de plusieurs réalités assez méconnues du Japon, lesquelles vous ont le plus influencées ou en tous cas pourquoi et comment ?

Les femmes, cela tourne toujours autour des femmes. Sous cette beauté mystérieuse et cette apparence impassible, il y a en fait un feu qui couve, de la violence, et c’est ce que je voulais raconter au travers du premier et du dernier roman que j’ai publié.

Dans un autre de mes romans, je voulais surtout décrire le plus proche de la réalité possible ce qu’un tsunami peut faire à la vie puisque, je suis allé sur place très rapidement et j’ai entendu des histoires de gens qui l’avaient vécu dans leur chair.

Pour le troisième roman, le principe était de parler de la guerre de Corée qui reste méconnue, parce qu’elle était entre l’horreur de la Seconde Guerre mondiale et la grande médiatisation de celle du Vietnam. C’était la première guerre des casques bleus ; les Américains étaient en masse, mais il y avait des Anglais, il y avait un bataillon français, et même un bataillon turc. Les Français ont sauvé la mise aux Américains plusieurs fois. Je voulais rendre hommage aux gens qui ont vécu cette guerre terrible en héros, au travers d’un personnage réel, un journaliste qui a été presque un père pour moi, que j’ai connu au Japon. Il avait été un grand résistant, avait couvert la guerre de Corée et la guerre du Vietnam. Il est décédé il y a une dizaine d’années. Il s’appelait Marcel Giuglaris.

 

Est-ce qu’on peut dire que vous avez des influences littéraires ? Lesquelles ?

Non, je dirais que j’ai plutôt des influences de cinéma. Souvent, les gens me disent que mes livres sont comme des films. Mon père était un cinéaste amateur de grand talent, il a gagné deux fois le grand prix du festival de Cannes amateur. Il m’a appris à voir les choses avec des plans de films, des séquences, un équilibre de cinéaste. Je reproduis cela dans la mesure du possible dans mes romans.

Autre chose, comme j’ai horreur de m’ennuyer quand je lis un roman, j’essaie de faire en sorte de ne pas ennuyer le lecteur.

 

Quels sont les trois derniers bons bouquins que vous avez lus ?

Conscience contre violence, de Stefan Zweig, qui parle de Calvin et de ces gens qui se sont heurtés à lui parce qu’il reproduisait exactement ce dont il avait souffert ; le calvinisme n’a pas été une très jolie chose. Et puis surtout Le Monde d’hier, où il reprend toute sa vie avant de se suicider, ce fut son dernier manuscrit, écrit au Brésil ; il s’est suicidé dans les jours suivants. Cela m’a beaucoup marqué, je connaissais peu cet auteur et j’ai désormais envie de lire tous ses textes.

 

Comment l’écriture aide-t-elle le dirigeant ?

Elle purge le dirigeant de ce qui se passe dans son cerveau quand il doit diriger. J’ai un esprit beaucoup plus clair quand j’ai fini d’écrire ou quand j’ai passé une nuit ou un week-end à écrire, et je retourne au bureau avec grand bonheur.

Pour moi, l’écriture est un immense effort épuisant. C’est un effort car je cherche à trouver le bon mot, le mot juste, et parfois je ne trouve pas tout de suite. Il arrive aussi qu’écrire soit jouissif : quand vos personnages prennent le pas sur vous, vous n’êtes plus l’écrivain mais leur script autrement dit leur témoin, cela paraît idiot à dire mais selon mon éditeur c’est un signe que le livre sera très bon. C’est un sentiment très agréable.

 

Quels sont vos projets après Chanel ?

Mes projets sont nombreux et divers, ne plus faire de luxe d’abord [rires], j’ai assez donné dans le luxe pendant 47 ans, j’ai eu la chance d’être dans la plus belle Maison de luxe qui soit donc je ne me vois vraiment pas travailler pour une de ses pâles copies.

Ce qui m’intéresse en revanche, c’est d’aider d’autres industries à comprendre ce qu’est la notion de luxe. Je pense qu’il y a beaucoup à enseigner dans les métiers de l’hospitalité, je sais qu’il y a des gens qui s’intéressent à la façon nous la pratiquons et là je peux peut-être aider. Je vais enseigner à HEC afin de transmettre mais aussi d’être en contact avec des jeunes qui vont forcément me remettre en question. Cela me forcera à un effort intellectuel important, je pense que c’est la meilleure chose contre le vieillissement.

J’ai bien l’intention de garder ma jeunesse d’esprit par la curiosité, l’envie de faire des choses complètement dingues.

 

Selon vous, qu’est-ce qu’un bon consultant ?

Un bon consultant est un consultant qui écoute votre besoin, qui vous fait des propositions, qui vous accompagne pour voir comment vous les appliquez, et surtout qui regarde si elles marchent et s’il a eu la bonne idée. Un bon consultant est rare.

 

Interview réalisée le 22 juin 2023.

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