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Le CIO et les comités d’organisation construisent une nouvelle vision des Jeux

Christophe Dubi (Directeur Exécutif des Jeux Olympiques) échange avec Henri Kieffer (fondateur d’harpagon) sur son parcours, sa vision de l’évolution et des priorités pour les Jeux.

 

En quoi consiste votre rôle de directeur des Jeux ?

C’est un rôle de coordination d’un système très vaste qui concentre de nombreuses expertises. Mon rôle est de m’assurer que ces expertises participent de façon coordonnée à un objectif : la tenue des Jeux Olympiques. Avant cela, il y a bien sûr un processus de candidature qui permet d’attribuer les Jeux et dont j’ai également la responsabilité. Globalement, je dois donc coordonner l’ensemble du système qui repose à la fois sur les piliers fondamentaux de la famille olympique : les fédérations internationales qui organisent leurs sports aux Jeux, les comités nationaux olympiques qui gèrent leurs délégations respectives, et bien sûr, les athlètes qui concourent et performent.

Autour de ce système, il y a le comité d’organisation qui a la responsabilité d’organiser les Jeux Olympiques en s’appuyant sur toutes les expertises nécessaires : des finances à la sécurité, en passant par les domaines créatifs, que ce soit les arts visuels ou le spectacle de la cérémonie d’ouverture.

Mon rôle est de m’assurer qu’on a un projet sur une période donnée, qui peut être de 11 ans dans le cadre de Los Angeles 2028, mais qui était encore récemment de 7 ans, et que les choses se fassent de façon séquentielle pour qu’on puisse livrer des Jeux en atteignant tous les objectifs fixés.

Il faut également distinguer mon rôle au sein du management du CIO de celui de l’ensemble des élus : le Président et les membres du CIO qui représentent l’institution dans leurs pays respectifs. Nous avons un système de commissions : l’une d’entre elles, la commission de coordination, a la responsabilité de superviser l’organisation des Jeux Olympiques. Elle peut être présidée par des personnalités diverses. Je pense par exemple à Nawal EL Moutawakel, Olympienne merveilleuse et ministre marocaine, ou encore pour les Jeux de Tokyo par Monsieur John Coates, l’un des vice-présidents du CIO. J’ai aussi la responsabilité d’assister et de faire fonctionner ces commissions de coordination.

Pour moi, vous êtes un enfant des Jeux et du CIO. Racontez-nous !

C’est juste ! Aussi loin que je puisse me souvenir, quand je rentrais chez moi, il y avait, à l’entrée, une grande photo des Jeux de Sapporo 1972 avec l’ensemble des délégations regroupées au milieu de l’anneau de vitesse. Mon papa faisait partie de la délégation suisse en tant que joueur de hockey. Ce sont des souvenirs incroyables et encore vivaces. Par la suite, après avoir eu deux ou trois petits boulots en sortant de l’université, je suis rentré au CIO comme stagiaire en 1996 et j’ai progressivement gravi les échelons. Ce qui est très intéressant au CIO, c’est que l’on touche à plusieurs métiers. Cela m’a permis au final de me retrouver à mon poste actuel qui est pour moi incroyablement intéressant parce que les Jeux font partie de l’inconscient collectif : tout le monde à un avis sur les Jeux, et a le droit d’en avoir un car les Jeux font partie du patrimoine universel commun. Par ailleurs, pour organiser les Jeux Olympiques, on doit rassembler tout le génie disponible à un moment donné et à un endroit donné. C’est passionnant, parce qu’on passe un jour d’un problème purement politique à une controverse médiatique, d’un risque de cybersécurité à une question financière. Et tout cela au rythme de grands exploits sportifs. C’est vraiment passionnant.

Il y a eu des candidatures ces dernières années qui ont été repoussées, je me souviens de Boston, de l’Allemagne et même des Jeux Olympiques d’hiver en Suisse. Selon vous, qu’est-ce que cela reflète sur la façon dont la population regarde les Jeux et plus généralement sur les Jeux dans nos sociétés ?

Je pense que ça reflète une crainte, une perte de confiance ou peut être un manque de crédibilité des institutions, que ce soit des institutions politiques, des grandes entreprises ou, comme c’est le cas pour nous, d’une grande institution sportive. Je pense qu’aujourd’hui les citoyens mènent des réflexions très individualistes sur ces projets de société : «  Que cela va-t-il m’apporter ? ». Ensuite, cette perte de confiance peut résulter d’un certain nombre de scandales, qu’ils soient financiers, liés au dopage ou encore à différents abus.

De là est né, en 2014, le projet Agenda Olympique 2020, la feuille de route pour l’avenir du mouvement olympique, qui a su apporter les réformes nécessaires au changement. La question était : que faut-il faire pour regagner cette confiance ?

Pour les Jeux du futur, il y a pléthore de parties intéressées, et cela est unique.

Je sors de quelques jours de consultations : des pays comme le Qatar, l’Indonésie, l’Allemagne et l’Australie nous ont signifié leur intérêt pour les JO 2032 ou une échéance plus lointaine. Cela est tout à fait unique et nouveau.

Alors pourquoi un tel engouement ?

Ces pays se sont rendu compte, qu’avec l’Agenda Olympique, nous nous sommes donné les moyens de positionner les Jeux comme un outil au service d’une vision commune pour une ville, une région, voire un pays. Premier point important : nous expliquons maintenant aux candidats potentiels qu’ils n’ont pas à modifier quoi que ce soit chez eux pour accueillir les Jeux, et qu’à l’inverse, nous allons nous adapter aux contextes locaux.

Ceci constitue un changement de paradigme total. Nous avons repris tout le cahier des charges : le contrat de ville hôte, les garanties financières, les exigences techniques, et nous avons flexibilisé l’ensemble avec un message clair : autour d’un objectif commun, les moyens sont entre les mains des candidats retenus. Beaucoup de créativité est dès lors apparue.

Deuxième point-clé : nous avons indiqué que nous ne souhaitions plus voir apparaître de constructions nouvelles si elles ne sont pas nécessaires et utiles aux communautés après la tenue Jeux.

Résultat : aujourd’hui, de nouvelles constructions ne sont plus nécessaires. Si les infrastructures ne sont pas disponibles dans la ville-hôte, on peut aller plus loin, y compris à l’étranger. C’est un avantage certain, car les dépassements de coûts aux Jeux sont toujours liés aux investissements dans les infrastructures par les collectivités publiques. Point suivant : nous voulons agir efficacement à la fois pour le climat, et en matière sociale. C’est pourquoi on ne produira que des choses qui ont un intérêt pour la communauté sur le long terme. Cela explique par exemple l’élection du projet de Milano
-Cortina pour les JO d’hiver 2026, qui s’appuie exclusivement sur des infrastructures existantes, sans rechercher nécessairement de la compacité. Le projet s’articule autour de 4 grands pôles géographiques « prêts à l’emploi ». C’est très encourageant pour le futur. Enfin, pour retrouver une certaine crédibilité et redonner confiance en notre institution, nous devons nous ouvrir davantage à la société civile. Ce ne sont pas seulement le CIO, les employés et la famille olympique qui importent, ce sont les idées de ceux qui suivent les Jeux, et les milliers d’idées qu’ils proposent. Nous avons ouvert le dialogue avec des organisations non-gouvernementales, y compris celles qui ont un point de vue critique sur les Jeux. C’est une révolution culturelle, une nouvelle façon de penser : on dialogue, on s’écoute, on peut tomber d’accord sur un sujet et convenir de ne pas être d’accord sur un autre.

Comment appréhendez-vous ces immenses changements et quels en sont les défis ?

D’abord, le propos des Jeux reste le même : il s’agit de l’émotion procurée par la performance sportive des athlètes, qui demeure centrale, et ce malgré les évolutions techniques du sport, de ses règles, ou de l’expérience des téléspectateurs toujours plus fascinante grâce aux nouvelles technologies de retransmission disponibles.

Pour mener cette transition et ces changements, le facteur humain est bien sûr fondamental et passionnant.

Comment convaincre à une large échelle en faveur d’une culture d’entreprise totalement différente ?

Il nous était possible de tenter de mobiliser par la peur, en pointant les risques qui pèsent sur la tenue des Jeux avec par exemple les quelques candidatures repoussées par leurs populations.

Nous avons au contraire choisi de conduire le changement à travers de nouvelles idées et des motivations positives en mobilisant toutes les parties autour des valeurs du partenariat, plutôt qu’autour de la peur ; par la recherche de solutions communes dans le cadre de la collaboration plutôt que par le suivi de règles strictes comme le ferait un franchiseur avec son franchisé.

Des partenaires travaillent sur le projet olympique avec le comité d’organisation. L’idée est de flexibiliser et de rechercher, avec ces partenaires, des solutions communes, plutôt que de contrôler. Nous avons tous le même objectif : des Jeux réussis et inspirants.

Cette démarche requiert une énergie quotidienne car elle induit une perte de repères pour les équipes, mais elle est utile et nécessaire pour flexibiliser les règles, rechercher des solutions qui fonctionnent, et opérer de manière beaucoup plus engageante.

Quels changements avez-vous relevés, dans votre équipe, au quotidien ?

Ces changements ont apporté beaucoup plus de maturité et de créativité dans le fonctionnement : les équipes se sont rendu compte qu’elles étaient capables d’aller bien au-delà de la simple révision des règles d’une Olympiade à l’autre.

Christophe Dubi, Directeur Exécutif des Jeux Olympiques

Imaginer ensemble une solution, oser, et accepter la difficulté d’une situation nouvelle délicate leur a permis de libérer beaucoup d’énergie, de créativité et de confiance en interne grâce à la flexibilisation des règles. Cette dynamique créative a résulté en un regain de productivité.

Par exemple, dans le cadre des Jeux de Paris 2024, nous avons eu des idées ambitieuses et enthousiasmantes : le marathon sera accessible à tous les coureurs inspirés par les valeurs olympiques. Organiser un marathon populaire le jour des Jeux pourrait paraître impensable, mais c’est maintenant acté. Une autre proposition audacieuse était d’organiser la cérémonie d’ouverture en partie en extérieur : nous montrons ainsi que les Jeux n’appartiennent pas seulement à ceux qui ont un billet dans le stade mais bien à tous les Parisiens et à tous les Français. C’est plus compliqué bien entendu, mais imaginez un peu : nous invitons 2 millions de personnes, Parisiens et visiteurs, à la cérémonie d’ouverture des Jeux, c’est extraordinaire !

J’imagine que vous avez l’aide de consultants. Quelles sont, à votre avis, les caractéristiques d’un bon consultant ?

Un bon consultant permet de produire des améliorations à la marge dans les domaines où les équipes opérationnelles n’ont pas assez de recul. Un consultant inspirant est celui avec lequel nous voulons nous engager, car il soumet une proposition de valeur, soit en termes d’approche méthodologique, soit parce qu’il y a une expertise spécifique. Un bon consultant doit aussi être créatif par rapport à notre domaine d’action et sortir des sentiers battus.

J’apprécie, à la fin d’une mission, de porter un regard sur leurs contributions et de conclure que les consultants ont fait une vraie différence.

 

Les médias et les Jeux : c’est un peu, je t’aime moi non plus ?

D’une part, les médias ont besoin des Jeux bien sûr. Les droits commerciaux, télévisuels et digitaux, sont très importants pour le CIO comme pour les médias concernés qui y trouvent un intérêt économique mutuel. L’attrait formidable des Jeux se confirme tous les quatre ans à l’écran. Les JO dominent le paysage médiatique international, encore plus que le football ou d’autres événements. Mais il y a également l’aspect news, plus politique. Tout ce qui tourne autour des Jeux Olympiques, du Mouvement Olympique, de l’organisation ou du fonctionnement de l’institution est sujet à certaines critiques.

Par exemple, une controverse a surgi au Japon sur la tenue des Jeux au milieu d’une pandémie et une autre par rapport à une déclaration du président du comité d’organisation sur le rôle des femmes au Japon.

Les déclarations des personnalités appartenant au monde olympique font régulièrement la Une des journaux, c’est la preuve que les Jeux intéressent tout le monde.

Nous sommes quotidiennement sollicités par les médias. On ne peut pas répondre à tous, mais nous agissons dans la plus grande transparence. La plupart des documents opérationnels sont publics car nous n’avons rien à cacher. Avec les médias, c’est la même chose. D’où la relation de proximité et de confiance que nous tenons à maintenir et développer avec eux.

Interview menée par Henri Kieffer à Lausanne, février 2021

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