
au delà de cette limite, notre ticket ne va plus être valable
Trois intervenants engagés sur les chantiers de la transition écologique ont accepté d’échanger autour de ces enjeux. Sans langue de b...
Notre expertise
La parole pour terminer ce numéro spécial à un numéro tout à fait spécial de la pub des années 1990 à 2015, patron-co-fondateur de l’agence Scher-Lafarge devenue les Gaulois, rachetée par Havas Group. Notre invité quitte la pub en 2016, et décide à 57 ans de passer un CAP d’ébéniste à l’école Boulle pour se reconvertir dans ce dont il rêvait adolescent…
Enfant terrible de la pub, autodidacte, gosse des beaux quartiers, tombé par hasard dans la pub, profondément humain, d’une grande pudeur, pétri d’humilité et doté d’une discrète et profonde culture, c’est avec un immense plaisir que je vous partage une magnifique conversation avec Christophe Lafarge.
Christophe me reçoit à son domicile dans l’ouest parisien, « aussi proche que possible de la sortie de Paris pour mes échappées régulières vers mon atelier des Yvelines ou ma maison en Bretagne. » De retour des Sables d’Olonne où la famille Lafarge-Coudée est allée accueillir le héros familial Guirec, frère de l’épouse de Christophe, tout juste rentré de son formidable premier Vendée Globe. Une théière m’attend près d’un feu de cheminée, la conversation des compères peut commencer.
Henri Kieffer : Christophe, nous devons reconnaître que quelques années ont passé depuis nos exploits footballistiques (surtout les tiens, voir plus loin) à l’AS Bon Conseil, patronage de quartier, au début des années 80…
Quels ont été les temps forts, moments de basculement et les rencontres clés dans ton parcours ?
Christophe Lafarge : Je me suis souvent demandé ce que j’avais dans le fond véritablement décidé. En se disant la vérité, je n’avais pas vraiment décidé d’être dans la pub. Je n’avais pas vraiment décidé de devenir directeur d’une agence et de construire mon avenir là-dedans… et donc de temps en temps, il m’arrive de me demander s’il n’y a pas eu un peu d’usurpation dans mon parcours !
J’ai pris des trains, le premier d’entre eux a été celui du football, qui m’a énormément servi. Je n’étais pas fait pour faire des études, j’ai donc joué à un petit niveau national avec le club de Vanves (salarié de la mairie préposé aux espaces verts, c’est prescrit maintenant), mais je me suis malheureusement blessé très gravement, ma carrière a donc fait long feu.
Autre tournant majeur, période très dure, la disparition à cette même période de mon frère Benoît.
À cette même époque, je rencontre ma femme, c’était sympa de rentrer dîner avec les cheveux mouillés, mais il fallait tout de même bosser. Mon père connaissait un gars dans la pub (directeur de création de l’agence New, le « chkouick » du Paic vaisselle) : j’ai alors débuté autour de 1983 comme rédacteur dans cette agence, avec des tas de missions très variées.
N’étant pas bardé de diplômes, je me décide de tâcher d’en obtenir et me fais embaucher au département média de Publicis, l’une des écoles de la pub. À l’époque, les médias c’étaient des tableaux avec des petites croix. On avait la première machine pour tracer les courbes d’audience, on s’en servait pour faire les malins.
Les médias n’étaient pas trop mon truc, mais bol terrible, mon patron de l’époque était très heureux que je parle et fasse les présentations clients pendant que lui travaillait, fasse le boulot, situation assez rare. Et un jour, je bosse pour le client Renault. J’ai failli arrêter 10 fois, j’étais mal. Discussion avec mon père avec lequel je m’entendais très bien qui me dit : « Tu ne sais rien foutre, choisis une spécialité, rend toi indispensable et expert dans un domaine… » Je trouvais cela pas con mais je n’avais pas véritablement réfléchi ainsi à une carrière.
Peu de temps après, un gars de Walter Thomson m’appelle et me propose de m’occuper du budget Ford, en doublant mon salaire d’alors. J’y vais mais me dis assez vite que j’ai fait une erreur, boite américaine, très process.
Coup de fil de Havas, pour me demander de travailler sur Peugeot. Trois mois plus tard, on devait contractuellement présenter à Peugeot deux campagnes, pratique que j’ai ensuite interdite dans mon agence car en général, on tombe la première campagne, et la deuxième est bâclée.
On présente donc à Peugeot et le lendemain, le client se précipite sur la deuxième campagne. Alain de Pouzillac conforte le client sur ce deuxième projet. Je vais alors le voir, mon préavis se terminait le lendemain et lui remets ma démission.
Quand j’étais chez Walter Thomson, Canal organisait un tournoi de foot pub/média. à la fin du tournoi, un petit match a lieu et Alain Cayzac me propose de rejoindre son agence – ce qui ne se fait pas alors – ainsi que l’équipe de foot de France Pub dans laquelle jouait aussi Hervé Brossard, patron de DDB que je rejoins. Hervé me confie l’automobile, sauf Volkswagen.
Je commence à comprendre ce métier au sein de DDB, et les ressorts pour bien le faire, je passe d’un truc qui m’amuse à un truc que j’adore. Je comprends alors que la pub n’est pas faite pour vendre mais pour faire préférer, que la pub est faite pour durer dans le temps sur une image de marque, que tu peux être plus fort avec moins d’argent si tu as des créatifs plus puissants car la création est l’arme des pauvres. Enjeux économiques très forts, contextes complexes et à la fin, il doit y avoir deux mots sur une affiche. Exemple : dialogue de sourd avec la VW sur une dépanneuse.
Avec Jean-Luc Bravi et Bertrand Suchet (co-fondateurs de Louis XIV), on devait monter Louis XIV. Hervé Brossard nous invite à dîner mais finit par abandonner le projet. Le projet tombe à l’eau (et verra le jour sans Christophe quelques années plus tard, ndlr). Je quitte alors DDB après 6-7 ans, sans avoir de véritable projet. J’appelle Alain Cayzac et lui demande s’il est toujours intéressé par un footballeur et je rejoins RSCG.
Je revois Gilbert Scher qui me propose de monter sur le budget Citroën avec lui. On crée donc Euro RSCG Scher-Lafarge le 1er avril 1992 avec Citroën pour seul client au départ. Et jusqu’en 2016, on a bossé pour Citroën dans différentes configurations.
Donc en résumé, des rencontres et des hasards, le football, le conseil de mon père de me spécialiser, l’école DDB et l’univers de l’automobile. Et les 30 années suivantes reposent sur trois rencontres et une boite (DDB, ndlr) qui m’a permis de comprendre que c’était cela que je voulais faire et ce qui était intéressant et passionnant dans ce métier.
HK Comment Gilbert (le Scher de Scher-Lafarge, ndlr) et toi avez-vous construit ce qui est devenu l’agence Scher-Lafarge à partir du compte Citroën ?
CL Séguéla nous convoque et fait du Séguéla. Quand on arrive sur place, on découvre qu’il faut reprendre toute l’équipe et surtout que Citroën n’a rien demandé, sinon le prochain film Xantia. Je me retrouve dans une réunion avec les patrons de Citroën dont la seule question était : où en êtes-vous sur le film Xantia ? Et on leur répond qu’on n’est pas venus pour cela et que notre ambition est de proposer une stratégie d’ensemble pour la marque… on obtient finalement de leur part, avec l’aide de Jacques (Séguéla ndlr), de disposer de quatre mois pour revenir vers eux avec le fruit de notre réflexion. Si elles vous conviennent, on avance, sinon, le projet d’agence dédiée à Citroën s’arrête là.
Mes interlocuteurs de l’époque sont Claude Satinet, patron de Citroën et Jacques Calvet, patron du Groupe PSA, que j’ai adoré, une espèce de général de Gaulle, grand homme, protestant, qui incarnait pour moi la rigueur morale et une intelligence hors du commun, et avec lequel j’ai eu une rencontre exceptionnelle, des réunions époustouflantes et une longue relation quasi filiale.
Nous sommes revenus vers eux avec 9 films et une signature de marque qui était « vous n’imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous ».
On présente tout cela lors d’une réunion où 25 personnes étaient présentes dont Satinet et Calvet. Je prends un peu des raccourcis sans quoi nous passerions deux heures sur cette épisode clé. Nous présentons notre travail et sentons bien que l’assistance est intéressée. à l’issu de cette présentation, Calvet effectue un tour de table et interroge comme à son habitude un opposant de Satinet – ce qu’on a découvert après – et lui demande ce qu’il en pense. Ce Monsieur nous félicite mais indique que les phrases négatives ne fonctionnent pas. Dès lors, la seconde personne dit la même chose, et ainsi toute l’assemblée se range à cette opinion initiale. Finalement, Calvet conclut et me demande ce que je pense de cette phrase.
Je commence à lui apporter mes éclairages puis Gilbert Scher prend la parole : « M. Calvet, je vais vous dire deux choses et vous me direz ce que vous préférez : « Monsieur Calvet, je vous aime » et « Monsieur Calvet, je n’aime que vous ».
L’assistance se regarde interloquée, semble se demander à quels zozos ils ont affaire. Calvet prend la parole et répond qu’il est convaincu. Le slogan est né, est resté, on a fait 9 films, a été élus agence de l’année et on a pu recruter tous les créatifs que l’on voulait, l’agence était devenue super attractive.
En 1998 nous reprenons Nouvel Eldorado avec l’accord d’Alain de Pouzilhac et on réunit les agences. Arrive le 11 septembre, l’activité se tend fortement. On nous demande de nous rapprocher de BETC pour finalement acter notre départ.
Lorsque nous avons repris notre indépendance avec l’agence, j’avais eu le culot de demander à Jacques Calvet s’il voulait bien devenir administrateur de l’agence. En guise de réponse, il m’avait envoyé son chauffeur avec sa pièce d’identité.
Pendant 7 ans, l’agence, de taille moyenne, allait très bien, se développait, l’ambiance était top, nos collaborateurs étaient heureux.
En 2007, Vincent Bolloré appelle et me dit : « Il parait que Citroën veut absolument travailler avec vous, nous allons donc vous proposer de vous racheter » et on a été rachetés par Havas.
Rétrospectivement, j’ai été guidé par le choix des personnes avec lesquelles et pour lesquelles j’ai travaillées. Et j’ai ainsi compris que j’étais avant tout un créatif.Gilbert Scher et moi sommes restés associés 30 ans, et nous avons été très engagés dans notre travail ensemble pour livrer des projets de qualité.
HK Qu’est devenue la pub, observée de ta fenêtre, ces dernières années ?
CL C’est une question difficile, tu te demandes si tu ne vas pas faire un commentaire de vieux con.
Ce que j’ai adoré, c’est de travailler pour des marques qui avait le temps, qui m’ont fait confiance pour créer de la préférence pour ces marques, dans le temps long. La tendance actuelle de certains marketeurs de peu de vertu est de penser qu’ils peuvent faire vendre.
Autre tendance, les entreprises étaient plus petites, Danone n’était pas encore la multinationale qu’elle est devenue, Volkswagen idem, Citroën avait un budget communication très limité. Ce contexte conduisait les patrons à s’impliquer fortement sur les enjeux de marques et de communication. Je me souviens d’Antoine Riboud, fan des sujets de communication des marques de son groupe, ou de Jacques Calvet notamment.
Les fusions et rapprochements d’entreprises des dernières années ont transformé les grands patrons en businessmen très financiers et les ont éloignés de ces sujets. La communication a été confiée ces dernières années à des directeurs marketing, directeurs de comm. qui souvent veulent jouer de la musique sans maîtriser le solfège, c’est terrible, avec une absence d’humilité et des certitudes qui me stupéfient, celles notamment de penser pouvoir influer sur le comportement des gens pour vendre.
L’une des clés du succès de notre business chez Scher-Lafarge a été à mon sens de ne jamais prendre les gens pour les crétins qu’ils ne sont pas. Si on considère que la personne qui nous écoute est intelligente, tu fais l’effort pour la séduire, lui parler, la convaincre, lui raconter une belle histoire, lui expliquer. Ce fût un de nos mantras, celui de vouloir expliquer, raconter de vraies et belles histoires.
Nous avons eu la chance d’avoir des clients qui ne nous demandaient pas de réciter des solutions toute faites et de tenter d’influer sur le comportement de leurs clients.
Autre élément important à mon sens, l’atomisation actuelle des contenus, la mienne en premier lieu car je consomme, peut-être moins que d’autres mais comme tout le monde des réseaux sociaux, conduit à des expositions beaucoup moins canalisées qu’elles ne l’étaient, ce qui me donne l’impression de ne plus voir grand-chose.
Je ne vois pas de grande saga. L’affichage a disparu de l’orthographe urbaine. Je garde en mémoire l’affiche que nous avions élaborée pour la Citroën Saxo automatique sur laquelle nous avions mis une scie avec le slogan « vous n’aurez plus jamais besoin de votre jambe gauche ». Difficilement envisageable aujourd’hui.
Il y a eu un basculement à partir de 2010 environ où on est passé du tout hertzien à un début de digital, mais un digital comme un exercice d’étudiant, avec l’idée qu’on pouvait faire des choses avec le digital qu’on ne pouvait pas faire à la télé. Les agences ont alors abandonné le combat de la création sur les grands médias, en se disant « ce n’est pas grave, on va le faire sur le web ».
En cinq ans, on s’est retrouvés avec des grands médias très pauvres en campagnes créatives et on voyait des campagnes bidon sur le net, positionnées à 6 heures du matin pour pouvoir l’inscrire à Cannes.
Un jour, je croise un directeur de création de mon agence qui ne se trouvait pas sur le tournage du film que nous étions censés produire pour le client ce jour-là. Je lui partage mon étonnement et il me répond que ce sont les juniors qui tournent le film et que pour sa part, il s’occupe de la réalisation du cas (le cas de la réalisation qui sera présenté à Cannes, ndlr) qui est le plus important.
Je lui ai dit que nous faisons complètement fausse route : les patrons de la création de ma boite n’étaient pas là où on travaillait pour nos clients, mais travaillaient pour l’agence.
Ce n’est pas directement en relation mais six mois après j’arrêtais et quittais la pub.
HK Alors l’après pub ?
CL En 2016, j’ai 56 ans et je quitte l’agence. Dans la voiture en rentrant à la maison, je me dis que je vais faire l’école Boulle dont je rêvais quand j’avais 15-16 ans mais mon père m’avait dit de passer mon bac d’abord (sans succès d’ailleurs).
Je m’inscris donc en 2016 sur le cycle diplômant en un an et j’obtiens un CAP, mon premier vrai diplôme (un diplôme est obligatoire pour pouvoir exercer, ndlr).
On crée l’atelier en 2018 (Atelier Simple d’Esprit, ndlr) avec deux copains de promo plus jeunes. Dès la première année on a été rentables et je vois bien qu’après six années, nous commençons à être identifiés, ça téléphone et il y a un autre signal très positif que j’avais déjà vérifié dans la pub, le nombre de demandes de stages est en constante augmentation.
Lors de ma formation à l’école Boule, j’ai été très étonné car je rentrais exténué, non pas en raison de l’activité physique mais de la complexité de la gestion de la dimension spatiale, de la gymnastique mentale que nécessitent cela.
L’une de mes grandes satisfactions est de réaliser la mise en œuvre des idées que nos clients nous achètent. Sentir que ton cerveau peut se traduire par une réalisation de ta main est un intense plaisir.
Autre grand plaisir découvert dans cette activité, celui de découvrir qu’il est possible de concevoir un meuble davantage en pensant à son propriétaire qu’aux murs près desquels ce meuble va être placé.
Cette dimension conceptuelle du meuble est pour moi géniale, et en toute humilité, partir ainsi de quelqu’un pour concevoir un meuble permet d’aboutir à une réalisation qui sera peut-être unique.
Enfin, pour la suite, j’ai envie de transmettre une boite saine dans les années à venir.
HK Un conseil pour les jeunes qui veulent se lancer dans la publicité ou dans l’entreprenariat ?
CL Dans la pub, je n’arrive pas à penser qu’il n’y ait pas tout de même, à partir du moment où existe une interaction entre une marque et un client, une place pour trouver un moyen d’expression respectable, respectueux, enrichi, vrai, sans artifice, y compris dans le digital, avec une façon de raconter plus profonde et vraie.
à cet égard, il y a forcément un capitalisme qui repose sur les fondements de la réalité entre les individus.
Pour l’entreprenariat, je dis à tous ceux qui viennent me demander conseil de ne pas se penser artisans, et de surtout garder à l’esprit d’aller chercher des clients.
HK Alors, un bon consultant d’après toi ?
CL Des consultants sont venus un jour m’expliquer avec des matrices et des cases ce qu’était DS que nous avions entièrement écrit six mois auparavant à l’agence…
Un bon consultant ou conseiller, c’est toujours quelqu’un qui écoute, qui parvient à avoir une écoute sincère, à garder la bonne distance pour ne pas être parasité.
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